Le Cirque Phénix aura rarement aussi bien porté son nom. Alors que les événements culturels sont menacés par la crise du Covid-19 et les restrictions sanitaires mises en place pour en sortir, alors que les valeurs d’égalité et de diversité doivent être portées plus haut chaque jour, Alain Pacherie donne son envol à un spectacle quasi 100% féminin, Gaïa, qui part en tournée dans toute la France. Le pari d’un passionné qui donne vie à un spectacle plein d’esthétisme et de prouesses. Rencontre avec le fondateur et metteur en scène du Cirque Phénix.
Le Cirque Phénix présente sa nouvelle création, Gaïa : un show acrobatique d’exception, exécuté par 40 femmes artistes prodigieuses. Acrobates, clowns, danseuses, musiciennes, elles ont toutes été castées aux 4 coins de la planète et ont pour point commun l’excellence ! Un spectacle acrobatique sans animaux, conçu pour petits et grands.
Dans la mythologie grecque, Gaïa la « Terre », est la déesse primordiale identifiée à la « Déesse mère ». Un récit grec raconte comment Gaïa est née du Chaos, comme Éros, le désir, Nyx, la nuit, Erèbe, les ténèbres des Enfers, et Tartare, la personnification de la plus grande prison des Enfers. Seule, GAÏA enfanta les mers, les montagnes puis s’accoupla avec le Ciel, Ouranos. Leur union donna naissance aux douze Titans.
TTT- Avant le départ en tournée, il y a eu une session parisienne ou plutôt, un succès parisien, que nous avions pu constater le temps d’une représentation. Racontez-nous l’organisation de ce mois de janvier.
Alain Pacherie– Le 3 janvier, les jauges ont été réduites. Vers la fin de la session parisienne, donc. Notre chapiteau peut accueillir 5500 places alors, limiter la jauge à 2000 personnes, ça a posé souci. On a arrêté les ventes et on a multiplié les séances. Il y a eu des cas positifs au Covid dans notre équipe, donc on était tous cas contacts. A chaque fois, j’ai fait tester tout le monde. Les musiciennes ont été cas contacts et parfois même, positives, à tour de rôle. On a réussi à trouver des remplaçantes au pied levé, ce qui fait que le public n’a pas du tout subi ces situations et les artistes ont pu continuer à faire leur travail. On a fait toutes les séances prévues et on en a même rajouté, pour pallier les restrictions de jauge!
TTT- Vous avez fait le choix d’une troupe composée d’artistes féminines. Votre ambition était de représenter des personnages féminins, ou plutôt, dans la forme, de mettre en lumière la place des femmes dans les arts du cirque?
Alain Pacherie- Pour le 20ème anniversaire du cirque, je voulais rendre hommage aux femmes.
Depuis que je suis dans le métier, j’ai vu les femmes être partenaires de leurs époux: sur scène, dans la caravane, à la préparation des agrès… Alors, je me suis dit: pourquoi ne pas les mettre en valeur?
Tout au long de ma carrière, j’ai vu des numéros féminins extraordinaires. Des numéros de force qu’elles font avec une grâce extraordinaire. Le mot « grâce » revient souvent dans la bouche des spectateurs. J’ai voulu explorer cette facette du cirque pour monter le spectacle. Je voulais savoir s’il y avait suffisamment de numéros féminins d’une telle qualité -parce que je suis très exigeant sur le niveau acrobatique et artistique des artistes- pour faire en un show complet. A ma grande surprise, j’ai réussi.
TTT- Pourquoi étiez-vous surpris?
Alain Pacherie- J’avais peur qu’il n’y ait pas assez d’artistes indépendantes, avec leurs propres numéros, dans notre métier. On voit surtout des numéros masculins ou mixtes.
TTT- Espérez-vous que votre parti pris inspire d’autres créations?
Alain Pacherie- Oui, je pense que ça va faire école. J’entends déjà des projets de cirques à l’étranger qui envisagent de faire des spectacles entièrement féminins. J’en serais ravi, vraiment!
TTT- Que représente le départ en tournée de votre spectacle, pour vous?
Alain Pacherie- A Paris, on a fait presque 300 000 spectateurs. Mais Paris n’est pas la France!
J’ai envie de montrer aux gens qui habitent en province qu’eux aussi ont la possibilité de voir de grands spectacles.
Evidemment, avec la pandémie, les gens sont un petit peu frileux quand il s’agit de sortir. La question de l’annulation de la tournée s’est posée. Mais moi, j’ai voulu qu’on y aille. Qu’on parte, coûte que coûte. J’avais aussi envie que mes artistes étrangères découvrent la France, et que la France découvre leur spectacle!
TTT- Que diriez-vous à un potentiel spectateur encore frileux, pour le convaincre de venir applaudir Gaïa?
A. Pacherie- La force de Gaïa, c’est toutes ces artistes. Au début du spectacle, un maître de cérémonie explique le titre du spectacle. Toutes les femmes sont les filles de Gaïa. Un spectateur qui hésite à venir, parce qu’il ne connaît pas cet univers, par exemple, doit savoir qu’il peut venir avec toute sa famille. Il va passer deux heures époustouflantes. Il aura le sourire jusqu’au oreilles. Il va assister à de la performance, de la beauté et du rire. Tout ça est dans le spectacle, à partager tous ensemble.
J’aime cette idée de pouvoir venir voir Gaïa avec trois ou quatre générations. A Paris, j’ai vu une famille qui est venue à quatre générations! Ils ont réservé deux loges et sont venus à 24. J’ai accueilli des grands-parents qui viennent le mercredi avec leurs petits enfants, de jeunes couples sans enfants, etc. Des spectateurs de toutes conditions sociales, aussi. J’adore ça. Un spectacle, on le regarde et on en parle tous ensemble après. Ça dure. Mieux encore, chez nous, le public participe au spectacle. De toute façon, dès que le projet est créé, le spectacle ne nous appartient plus. J’adore ça aussi.
TTT- Qu’est-ce qui fait la singularité et l’attrait du cirque, par rapport aux autres spectacles vivants?
Alain Pacherie- Le cirque est un art qui existe depuis plus de 250 ans. Il évolue en permanence. Aujourd’hui, il y a du cirque moderne, contemporain, traditionnel… Moi, je me situe plus dans le cirque moderne. Le contemporain est plus pointu, peut-être moins accessible aux familles entières, là où je fais des spectacles pour le plus grand nombre.
J’assiste à toutes les représentations. Au début, je suis dans le foyer pour voir arriver le public, ensuite je regarde la scène, puis je regarde les gens sortir. Quand les gens arrivent, actuellement, ils traversent le contrôle du pass sanitaire, la fouille des sacs, le contrôle des billets. Arriver à sa place, ça se mérite aujourd’hui! (rires) Il faut vraiment avoir envie de venir! Dès l’entracte, je vois les sourires et en sortant, les gens ont oublié leurs soucis. La magie du cirque, c’est de toucher les gens en une heure et demi ou deux heures, faire passer des émotions, faire rire et surprendre avec des prouesses.
TTT- Qu’est-ce qui fait la « patte Alain Pacherie », dans le milieu du cirque?
Alain Pacherie- J’essaie d’emmener mes spectateurs dans un voyage, à la découverte d’autres cultures. Quand j’ai fait Cirkafrika pour la première fois, ça a eu du mal à décoller parce que le public ne savait pas trop ce que ça donnerait. Mais quand le bouche-à-oreilles et les critiques de la presse ont commencé à circuler, j’ai sauvé mon année sur les trois dernières semaines! Une dame est venue me dire que son fils, un garçon noir, découvrait sa culture pour la première fois avec ce spectacle. J’ai les larmes aux yeux quand on me dit des choses pareilles.
En faisant du cirque, j’ai une mission. C’est inimaginable tout ce que cet art peut véhiculer.
Je tiens aussi à bâtir des passerelles entre les différentes formes d’art. J’ai des musiciens, des ballets, des acrobates, des clowns… Je théâtralise les numéros pour créer du suspens et du sourire, parce que le spectateur est passif mais il doit être séduit pour profiter pleinement!
Photo Laurent Bugnet
TTT- Quel est le dernier spectacle qui vous a marqué?
Alain Pacherie- Je ne vois pas beaucoup de spectacles, parce que je voyage énormément à travers le monde mais je vais citer Warren Zavatta. Un ancien artiste de cirque qui fait un one-man show, c’est formidable. Il a commencé chez moi comme garçon de piste et maintenant, il remplit des salles entières! Il m’a bluffé. Au début je n’y croyais pas trop, mais il fait un tabac. Il a réussi la communion avec son public, il l’a rendu complice du spectacle.
TTT- Entre modernité et tradition, quel est l’avenir du cirque selon vous ?
Alain Pacherie- Quand il a été créé, il y a 250 ans, le cirque était un événement mondial. A Saint-Pétersbourg, les gens venaient en smocking et en robe du soir, comme pour aller à l’opéra, mais pour assister aux numéros autour des pistes! Cet art nouveau a connu des crises, comme dans tous les domaines. Pour toucher davantage les familles et les enfants, on a associé des animaux aux spectacles. Mais il faut toujours suivre les changements de la société. C’est capital.
J’ai arrêté de montrer des animaux dans mon cirque il y a 20 ans. Il a fallu du temps pour que mes confrères comprennent qu’il fallait mondialement arrêter de mettre les animaux en cage. La majorité des dresseurs aiment leurs bêtes et ne sont absolument pas des bourreaux, mais ça n’est plus possible. Il faut se renouveler. J’ai exploré la Chine, Cuba, la Mongolie, l’Afrique du Sud…Pour concocter un mélange des genres. Je ne suis pas inquiet pour le renouvellement du cirque. On a 350 compagnies de cirque contemporain en France, par exemple. Le renouvellement créatif est à la portée des artistes et des directeurs.
by Valentine Ulgu-Servant