« Incroyable, formidable, impressionnant, extraordinaire, époustouflant, inouï, prodigieux, mythique… »
Les premiers spectateurs de la Seine Musicale ne tarissaient pas d’éloges à l’issue de la deuxième preview parisienne de Starmania à laquelle nous avons eu le privilège d’assister.
43 ans après sa création par Michel Berger et Luc Plamandon, Thomas Jolly signe la mise en scène de cette quatrième version française tant attendue, sous l’œil exigeant et affûté de Raphaël Hamburger. La volonté farouche de revenir à la source de l’oeuvre est clairement revendiquée, et le travail entrepris par les créateurs a été réellement colossal pour atteindre cet objectif.
Starmania, pour les plus âgés d’entre-nous, c’est un tout, que nous avons pu découvrir et redécouvrir au fil des différentes versions de 79, 88, 94, sur scène et grâce aux nombreux albums qui les ont accompagnées. Avec des chansons qui ont dépassé le spectacle pour appartenir désormais à notre patrimoine musical collectif. Les plus jeunes les connaissent, isolément les unes des autres, sans forcément les intégrer à l’Histoire-Starmania. Leur redonner leur place dans le récit, dans l’ADN de l’oeuvre originale, était également primordial pour l’équipe. Alors, bienvenue à Monopolis !
Monopolis, ville tentaculaire où les néons remplacent le soleil, 8 personnages croisent leurs destins : Zéro Janvier, l’homme le plus riche du monde et le Gourou Marabout, défenseur des théories de l’écologie (tous deux candidats à la présidence de l’Occident), l’actrice déchue Stella Spotlight, le jeune zonard Johnny Rockfort, Cristal la présentatrice vedette, l’énigmatique Sadia, Marie-Jeanne la serveuse automate et son «ami» Ziggy.
Dans ce monde qui ne leur ressemble pas, chacun cherche « le soleil au milieu de la nuit ».
Mais dans cette ville labyrinthique, berceau de toutes les violences, s’en approcher de trop près peut s’avérer fatal.
Dans cette tragédie à la fois moderne, futuriste et finalement intemporelle comme le prouve sa criante actualité, tous mènent un combat et cherchent à s’élever, mais l’issue sera mortelle pour 7 d’entre eux.
Tout dans Starmania fait écho à l’actualité de 2022 : terrorisme, quête absolue du pouvoir, revendication de son identité sexuelle, combat écologique… et tout était déjà là en 1979 ! N’allons pas jusqu’à en faire une sorte de prophétie à la Nostradamus, mais force est de constater qu’à la genèse même, Michel Berger et Luc Plamandon ont su mesurer et prendre le pouls de la société de leur époque en anticipant les proportions que ces thèmes allaient prendre à l’avenir. Alors, ancrer cette nouvelle version de l’Opéra Rock en se rapprochant le plus possible de la version originale devient une évidence. Revenir à la source pour vivre encore plus pleinement ce spectacle.
Les créateurs se sont replongés dans les écrits, dans les partitions originales, pour nous faire redécouvrir Starmania. Ils ont redonné vie au Gourou Marabout, disparu des versions postérieures à l’originale. Mais ils se sont autorisés, et c’est bien légitime, à actualiser certaines chansons (rappelons que le futur pour Starmania 1979 était l’an 2000), à remettre certaines qui avaient disparu et même à changer l’ordre des morceaux pour offrir plus de cohérence. Un pari gagné.
Le spectacle est, à tout point de vue, absolument époustouflant !
De l’immense scène, parfois vide, symbolisant physiquement le parvis de Monopolis et, symboliquement, la solitude, l’ambition ou le désir de quête de certains personnages, on passe à des décors mouvants incroyables comme l’underground café, les rues sombres de la ville, l’appartement de Stella Spotlight ou le Naziland de Zéro Janvier, qu’un système de plateaux tournants finit d’animer au gré des tableaux.
La scénographie, signée par Emmanuelle Favre, est grandiose, servie par de grands écrans vidéo verticaux qui se déplacent sur l’ensemble de la scène, offrant ainsi tous les jeux possibles d’association et de dissociation. On y voit tantôt la voix dématérialisée de Roger-Roger, tantôt des séquences filmées ou encore simplement de splendides effets lumineux qui viennent renforcer la dramaturgie. Mais c’est sans aucun doute l’habillage lumineux que nous devons à Thomas Dechandon, absolument fantastique, qui aura le plus subjugué le public. La profusion de projecteurs dépasse l’entendement, et les effets ainsi créés sont incroyables. Et lorsque vous penserez avoir tout vu, il en sortira encore de la scène pour venir vous éblouir encore plus ! Une démesure totale, à la hauteur de l’oeuvre.
Sidi Larbi Cherkaoui signe une chorégraphie efficace, percutante, soignée et dynamique. Il va même jusqu’à réussir à faire danser, faisceaux éteints, les projecteurs qui deviennent ainsi des personnages à part entière. C’est du grand art !
Les costumes, signés Nicolas Ghesquière (maison Louis Vuitton) sont splendides, allant de la plus évidente sobriété à la plus grande extravagance, du ton le plus sombre aux strass et sequins les plus flamboyants.
Thomas Jolly signe une mise en scène parfaite, sans aucun temps mort, haletante pourrait-on dire (mais on ne dévoilera pas tout ici). Et au milieu de toute la démesure du spectacle, il apporte une fluidité absolument déconcertante. Un jeu d’équilibriste dans lequel il excelle et qui donne ici toute la force au spectacle. On renoue aussi, sans aucun doute, avec la volonté première des créateurs : Starmania, c’est l’urgence. L’urgence d’être, de vivre, d’exister, quel qu’en soit le prix. Il en résulte, fatalement, une oeuvre plus noire encore, et bien plus violente que les versions précédentes, qu’une forme de retenue avait sans doute édulcorée. Mais Starmania, c’est ça !
Les voix sont toutes magnifiques. Nous avons été bouleversés par les interprétations d’Alex Montembault (Marie-Jeanne) et Magali Goblet (Stella Spotlight), totalement séduits par Gabrielle Lapointe (Cristal), impressionnés par le Gourou-Marabout Simon Geoffroy, sous le charme d’Adrien Fruit qui incarne un Ziggy plus vrai que nature, subjugués par la voix de Mane Miriam Baghdassarian (Sadia), soufflés par Aurel Fabrègues en ambitieux Zéro Janvier, et entièrement conquis par William Cloutier, formidable dans le rôle de Johnny Rockfort.
Il est des signes qui ne trompent pas, comme la standing ovation de dix minutes qui a conclu la représentation. Et pour beaucoup, une immense émotion. On a vu de nombreuses larmes couler, pour mille et une raisons, avant, pendant, et après le spectacle. Bouleversant, Starmania l’aura toujours été, pour plusieurs générations, et celles qui vont le découvrir se laisseront également emporter par ce véritable chef d’oeuvre.
Un immense BRAVO à toutes les personnes qui, associées de près ou de loin à ce projet, lui ont permis d’exister. Et un respect absolu pour toutes les équipes techniques qui gèrent ce spectacle incroyable de mains de maîtres.