Une petite armada de caméras s’installe au milieu du parterre de sièges rouges, face à la scène. Ce jeudi après-midi, le théâtre Mogador accueille les journalistes, les rédacteurs et les reporters d’images : Le Roi Lion fait son Media Day ! Au programme : cinq scènes soigneusement choisies, présentation du spectacle et interviews avec l’équipe créative et les artistes. Interdiction de poser son trépied dans les allées de sièges parce que « des artistes vont passer par là », nous souffle l’équipe du théâtre. Pendant que les journalistes patientent, les musiciens font quelques ajustements. Ils répètent des bribes de mélodies bien connues (Harry Potter, Star Wars et même, quelques mesures de Marseillaise s’invitent sur la Terre des Lions…). Assis au cinquième rang, on distingue le buste d’un des magiciens de ce spectacle : Dominique Trottein, le directeur musical. C’est parti pour un « soundcheck puissant », histoire de vérifier que le retour son est bon pour l’audience. Installé dans la fosse, sous la scène, l’orchestre s’affaire sous la baguette du chef, juste après…Un coup de fil ! Explications.
Dominique Trottein, directeur musical, pour TTT:
« J’ai un téléphone pour communiquer avec la régie. Ce spectacle est très technique. Je m’occupe du département de la musique mais il y les départements lumière, régie, machinerie, maquillage, perruque…On est 180 sur ce spectacle ! J’ai ce téléphone pour communiquer et je peux aussi le faire avec mes musiciens par télévision, parce que tout le monde ne me voit pas en direct. J’ai donc une caméra braquée sur moi. Sur chaque pupitre de musicien, il y a une petite télévision qui montre comment mes mains bougent. »
« Un chef d’oeuvre » sonore et visuel
Les percussionnistes sont installés aux balcons à cour et à jardin. Des cris d’encouragement jaillissent de derrière le rideau, encore fermé. Les lumières s’éteignent. Et c’est L’histoire de la vie qui retentit, quinze ans après la première résidence parisienne d’un spectacle colossal né à New-York en 1997. Pas étonnant que l’équipe ait choisi ce tableau d’ouverture comme entrée en matière. Toute la faune de la savane investit la salle et avance vers la scène, pour accueillir le nouveau-né de la Terre des Lions : Simba. Dans les allées, un éléphant, des buffles, un rhinocéros et d’autres animaux rejoignent ceux qui investissent déjà la scène depuis les coulisses. Tous entourent le rocher qui apparaît avec, sur son plateau, la reine Sarabi, Mufasa et leur lionceau. Comme dans le dessin animé culte de Disney, tous les animaux courbent l’échine et saluent leur petite Majesté, le futur roi. Visuellement, cet opening est spectaculaire au sens propre du terme.
Dominique Trottein, directeur musical, pour TTT:
« Un spectacle produit par Disney, c’est une marque. Et ce n’est pas péjoratif du tout de le dire. Si demain vous allez le voir à Londres ou à Tokyo, ça doit être le même. La différence, c’est qu’on chante et on joue dans une autre langue mais, on a des impératifs musicaux. J’ai un superviseur qui m’aide à respecter la partition en abordant des styles musicaux que je ne connaissais pas, comme les musiques sud-africaines. A partir de cette direction, on peut un peu colorer les chansons grâce à la langue française et sa prosodie. Je négocie avec mon superviseur en lui disant que tel ou tel mot serait plus joli à tel endroit, etc. On a une liberté limitée, mais elle existe. De toute façon, je n’ai aucune frustration à ce niveau-là : je dirige un chef d’œuvre ! »
En une scène, les cases de magie, frissons, et émotions sont cochées par un arsenal de techniques artistiques portées à leur plus haut niveau. Les corps des danseurs de l’ensemble donnent vie à ceux des animaux, grâce à des masques et des marionnettes à taille humaine (ou même, grandeur nature !) d’une ingéniosité folle. Un danseur sur des échasses devient une girafe, une danseuse porte des antilopes en plein bond, une autre a les jambes dans les pattes avant du zèbre dont elle guide le corps. Tous, plus vrais que nature.
Véronique Bandelier, la metteure en scène résidente du théâtre Mogador et Anthony Lyn, le metteur en scène associé pour les productions internationales du Roi Lion, s’accordent volontiers pour qualifier la scène « d’une des plus belles ouvertures de spectacle musical qui existent ». Tous deux montent sur scène et invitent une danseuse-guépard de l’ensemble à les rejoindre. Pour cette présentation aux médias, ils tiennent à mettre en valeur le rapport entre « les marionnettes, l’animal et l’être humain ». Et pour cause, le corps des artistes n’est jamais caché ou effacé au profit des animaux auxquels ils donnent vie. Dans le détail, la danseuse dévoile comment elle contrôle les articulations de son guépard : ses jambes sont les pattes arrière du fauve et avec des tiges, elle en contrôle les pattes avant. Les fils reliés à sa tête font bouger la tête du félin.
Changement radical d’ambiance pour le deuxième tableau présenté. Comme le dit Anthony Lyn, on passe des « biggest elements of the show » – les plus gros éléments du show- (l’éléphant, le rocher) pour arriver aux « smallest » -plus petits éléments-. Quand une petite souris devient le goûter de Scar et quand son frère, le roi Musafa, fait son entrée… Sans oublier l’infatigable Zazu. Les deux lions se défient et l’intrigue autour de leur rivalité se met en place. Olivier Breitman est méconnaissable, le visage marqué par un maquillage prononcé aux traits angulaires. Cassant, haineux, sanguin, cynique, un peu mélodramatique sur les bords : il donne au grand méchant de cette histoire, Scar, toute une palette de facettes dès son entrée. Face à lui, un Mufasa placide, impérial et imposant interprété par Noah Ndema. Son masque est solaire ; une référence au cercle du cycle de la vie. Les artistes peuvent faire basculer leurs masques vers l’avant grâce à un mécanisme, ce qui permet de renforcer leur posture de félins et de mettre en avant l’animalité des puissants prédateurs qu’ils incarnent.
Noah Ndema (Mufasa) et Olivier Breitman (Scar) pour TTT :
Noah : « Comme tous les pères, on a envie que nos enfants évoluent dans un espace en sécurité. En tant que papa, je retranscris ce que je suis scène pour incarner Mufasa. Tout père peut se retrouver dans ce rôle-là ! »
Olivier : « Scar a quelque chose de très Shakespearien. Il est tellement complexe et torve. A chaque représentation, je peux découvrir de nouveaux recoins de son esprit malade. Il a une profondeur très particulière. C’est jouissif pour moi d’essayer de le comprendre. Jouer les pires personnages, c’est aussi une école de tolérance ! »
Un show « multiculturel »
Anthony Lyn et Véronique Bandelier rappellent Sébastien Perez sur scène. C’est lui qui insuffle vie et caractère à Zazu, à bout de bras. Littéralement. Sébastien, vêtu et maquillé en bleu -il incarne le ciel et les nuages dans lesquels vole Zazu- anime les ailes du calao d’une pression de la main gauche, active son bec de la main droite et ses yeux grâce à son pouce. Anthony Lyn estime que c’est la « la marionnette la plus difficile » à manier. Les applaudissements fusent, y compris sous la fosse, de la part de l’orchestre.
Sébastien Perez (Zazu) pour TTT :
« C’est un vrai amusement. A chaque représentation j’essaie de réinventer de petites choses, en restant dans la mise en scène bien sûr. Je me dis « Tiens, je pourrais faire différemment, tiens si je fermais les yeux un peu plus, ça raconterait autre chose ! » C’est un jeu, finalement. Il faut être assez vif, nerveux, sautillant pour être Zazu… Je pense avoir les qualités requises ! (rires) »
Nala et les lionnes prennent position. Le temps d’un tableau épuré, Cylia interprète le sublime Terre d’ombres de sa voix ample. Elle est aussi expressive que son masque de lionne est doux. Nala comprend qu’elle n’a plus d’autre choix que de fuir son territoire, tombé sous les griffes de Scar. Cette scène est une démonstration de grâce de la part de l’ensemble de danseuses. Leur costume est composé d’un drapé souple qui accompagne chaque mouvement. Le multiculturalisme dans lequel l’histoire du Roi Lion puise ses racines est visible dans chaque costume (perles inspirées de peuples africains, pièces coupées d’après des tenues asiatiques, pigments de maquillage d’origines tribales…)
Véronique Bandelier, metteure en scène résidente, pour TTT:
« Au milieu de cette multiculture avec des artistes sud-africains, des Portugais, des Brésiliens, des gens qui viennent des Antilles…Le spectacle est en langue française. Les jeux de mots français associés aux touches culturelles venus d’ailleurs apportent une épice et une couleur unique au spectacle. Tout ce vécu et ces expériences artistiques rassemblent et créent quelque chose de puissant, de fort, de gigantesque. »
Dans cette adaptation, Rafiki est une femelle. Julie Taymor, la metteure en scène et co-créatrice du show original de Broadway, a conçu le personnage comme un hommage aux leadeuses spirituelles d’Afrique du Sud. Ntsepa Pitjeng-Molebatsi arrive sur scène sous les traits de la narratrice. L’artiste connaît Rafiki par cœur : elle l’a interprétée en français, en mandarin, en portugais et en anglais pour des adaptations internationales. Son costume est chargé de souvenirs et d’outils qui permettent au mandrill d’exercer son rôle de guérisseuse. Dans le spectacle, elle parle français bien sûr, mais aussi « trois des cent dialectes d’Afrique du Sud » : le sotho, le xhosa et le zoulou. Devant les caméras, Nsepa se lance dans la « clic story ». Un monologue dans ces dialectes, pendant lequel les « clics » remplacent les syllabes.
Nsepa est présente sur le dernier tableau présenté. L’occasion d’enfin découvrir Simba, interprété par Gwendal Marimoutou. Accompagné par des danseurs vêtus de tenues ultra colorées, devant un décor de ciel étoilé sublime, l’artiste chante Il vit en toi. L’énergie de la chorégraphie de l’ensemble derrière lui porte son solo, plein de poésie et de vitalité. Ce Simba-là a une voix enveloppante, il est attachant et brave comme se doit de l’être le héros du dessin animé de notre enfance. Un feu d’artifice de couleurs et une musique entraînante : c’est sur cet ultime tableau que s’achève la présentation du spectacle.
120 millions de spectateurs déjà conquis
Cinq ambiances et prestations très différentes les unes des autres, liées par une histoire emblématique, une esthétique raffinée qui régale les yeux et des chansons cultes qui ravissent les tympans. Ces quelques scènes donnent irrésistiblement envie d’en voir et d’en entendre plus. Le Roi Lion tient ses promesses de spectacle complet, de référence. Un chef-d’œuvre qui donne toutes ses lettres de noblesse au genre de la comédie musicale.
Laurent Bentata, directeur général de Stage Entertainment France et du Théâtre Mogador, pour TTT:
« Ce spectacle va réconcilier le public français avec la comédie musicale. Je pense que c’est un genre mal connu voire pas connu, mais ce spectacle met tout le monde d’accord. Il clame haut et fort que la comédie musicale est sans aucun doute le genre le plus exigeant, parce qu’il réunit tous les arts de la scène. Le dessin animé est magnifié par ces arts, des masques aux costumes en passant par le jeu des comédiens, évidemment. C’est un show transgénérationnel. C’est pour ça qu’on se retrouve avec des chiffres colossaux. 120 millions de spectateurs dans le monde… »
Les deux artistes qui interprètent Nala et Simba adultes reviennent sur le moment du processus créatif pendant lequel ils ont réalisé, pleinement, qu’ils entraient dans l’histoire d’un spectacle événement et colossal.
Cylia (Nala) et Gwendal Marimoutou (Simba) pour TTT:
Cylia : « Moi, c’est quand j’ai commencé les répétitions de mouvement et de danse. Il y avait une telle rigueur, et une grande bienveillance à la fois. On était dans un processus de progression, mais ça ne rigolait pas ! (rires) »
Gwendal : « Moi, c’est quand on s’est tous retrouvés, le tout premier jour, pour la lecture. On n’avait pas pu travailler avant : ils nous avaient interdit d’avoir des livrets, des partitions, des images du spectacle etc. Ils voulaient qu’on arrive complètement vierges de tout ça. On est partis sur une lecture, stressés de bégayer en disant les répliques pour la première fois. Et en fait, juste avec nos voix et un piano, sans avoir eu de lecture dirigée, le spectacle roulait tout seul. Et c’est là que je me suis dit : « Wouah. Je suis dans un bijou, un vrai bijou. » »
Après des mois de reports, de privation de scène et de live, Le Roi Lion, Le Musical s’impose comme le spectacle événement de la reprise de la vie culturelle en France. L’assurance de contempler un show complet, une part de rêve à vivre comme une expérience sur la Terre des Lions, jusqu’en juillet 2022.
by Valentine Ulgu-Servant