10 Septembre 2021, le jour tant attendu par toute l’équipe de MEMORIAM, est enfin arrivé ! Ce soir, c’est la grande première, sur invitation, pour les professionnels et une partie des participants à la campagne de financement participatif lancée en mai dernier sur Ulule.
Si les choses se sont nécessairement précipitées ces derniers mois, la genèse de ce spectacle, résolument novateur, se compte en années. Et Manon Bianchi, autrice, n’a pas ménagé ses efforts depuis pour qu’il soit enfin présenté au public.
C’est le Théâtre des 2 Rives de Charenton-le-Pont qui a le privilège de s’offrir en écrin pour cette première.
Il faut dire que la promesse est belle puisqu’il s’agit de découvrir un spectacle hybride mêlant théâtre et danse narrative, savoureux et habile mélange de science et de fiction.
Un véritable challenge qui pourrait, ce soir, être relevé.
Le synopsis, nous en conviendrons tous, est plus qu’audacieux :
Memoriam raconte l’histoire d’Elisa, jeune neuroscientifique, qui se trouve plongée dans le coma à la suite d’un accident survenu dans des circonstances troubles.
Elle est projetée à «Amoc», représentation chimérique de son cortex cérébral, gardé par Togh, un humanoïde d’apparence monstrueuse, peu empathique et à l’humour caustique.
Victime d’une amnésie traumatique, elle cherche à retrouver le souvenir responsable de sa venue.
Accompagnée de Togh et d’une projection d’Emma, sa sœur, Elisa s’enfonce dans les profondeurs de sa mémoire, dans l’espoir d’atteindre le souvenir manquant.
Une création originale, certes, mais dont l’origine dépasse la seule recherche artistique : Manon Bianchi explique en effet s’être interrogée sur la nature même de la mémoire, de son caractère parfois malléable qui pourrait même, au final, faire évoluer notre personnalité actuelle, car elle a elle-même vécu un fort choc émotionnel qui lui fit perdre ses repères.
Soucieuse de donner une vraie caution scientifique à son oeuvre en devenir, elle a fait appel à Aline Desmedt, neuroscientifique, spécialiste des mémoires traumatiques à l’INSERM.
Les choses étant posées, et avant de vous donner nos impressions sur ce spectacle, nous vous proposons d’en découvrir le teaser.
Commençons par évoquer la construction de l’oeuvre qui se scinde en deux espaces-temps bien distincts : les moments joués et parlés sont réservés au présent, correspondant paradoxalement à l’image du subconscient d’Elisa qui, rappelons-le, est inconsciente, alors que les passages uniquement chorégraphiés et musicaux sont, eux, la mise en abyme de ses souvenirs, à la recherche de l’instant T. Un fin ballet qui autorise tous les aller-retours et exalte la dramaturgie.
Parlons un peu d’Amoc, cet univers personnel et ô combien complexe dans lequel va évoluer Elisa, accompagnée de sa sœur Emma. Il est sombre, inquiétant, énigmatique mais pas inconnu pour la jeune chercheuse qui maîtrise ce sujet, à l’image de Manon Bianchi qui a mené un travail remarquable pour définir et imager non pas la mémoire au sens large, mais les différents types de mémoires, et la manière dont elles sont à la fois imbriquées et étagées (ce terme revêt toute son importance quand on découvre le spectacle…). Elisa devra atteindre le niveau le plus lointain, situé à « la cave ». Elle est aidée dans sa quête de compréhension par Togh (magistralement interprété par Benoît Charron), dont on apprendra assez vite qu’il personnalise l’hippocampe du cerveau d’Elisa, c’est à dire l’aire cérébrale qui gère la mémorisation et qui se retrouve impliqué dans certaines formes de peurs. Personnage au premier abord terrifiant et particulièrement antipathique, il fait rapidement preuve d’humour, ce qui allège une atmosphère qui aurait pu devenir sans doute trop pesante, voire oppressante pour le public. Il sera un allié absolument nécessaire de cette introspection, sans être toutefois suffisant : la quête du souvenir ultime perdu dans les limbes d’Amoc. Une recherche difficile et angoissante dans un univers où tout est chamboulé, une sorte d’envers du décor. D’ailleurs, aviez-vous remarqué qu’AMOC n’est pas seulement l’anagramme mais l’anacycle de COMA ?
Ce besoin incessant d’Elisa à se rappeler, se souvenir, l’amène à toucher du doigt certains moments du passés qui reprennent alors vie, comme nous l’avons dit, sous forme de passages musicaux uniquement dansés. Et comme les corps sont beaux quand ils parviennent à exprimer autant d’émotions et de situations en absence de mots ! Le travail réalisé par les artistes sous la direction de la chorégraphe Céline Thicot est absolument remarquable et bouleversant. Et si Amoc nous avait déjà permis de constater que Fiona Pincé (Elisa) et Camille Pouget (Emma) était de grandes comédiennes, on a ici la preuve, s’il fallait toutefois encore le préciser, qu’elles sont également de magnifiques danseuses, accompagnées par un ensemble tout aussi incroyable d’esthétisme et de technicité (mention spéciale à Dylan Possem qui est éblouissant).
On se rapprochera, peu à peu, au fil de ces évocations, du passé, de l’événement déclencheur, jusqu’à le découvrir. Jusqu’à ce qu’Elisa elle-même en prenne conscience. Jusqu’à donner un sens encore plus grand au titre du spectacle. Bien évidemment, nous ne dévoilerons rien ici, pas plus que les ultimes secondes du spectacle qui sont, vous pouvez nous croire, d’une intensité absolue.
Tout, dans ce spectacle, nous a plu. Absolument tout ! Scènes de comédie intenses et terriblement convaincantes, chorégraphies somptueuses, mise en scène et scénographie riches et pertinentes, lumières magnifiques qui complètent un décor sobre et efficace qu’elles parviennent souvent même à définir à elles seules, musiques qui accompagnent à merveille les lieux comme les émotions, costumes très bien pensés, depuis la sobriété collective jusqu’à l’extravagance individuelle la plus extrême…
Aucun temps mort. Nous avons été littéralement happés de la première à la dernière seconde. Et au final, on arrive aussi à faire nôtre cette introspection à l’issue de la représentation. On se met aussi à chercher dans nos souvenirs, à se dire que si aujourd’hui on pense telle ou telle chose, c’est peut être du à la manière dont on a pu « ranger » ou enterrer certains de nos souvenirs. C’est une expérience assez troublante.
La promesse était grande et le défi a été relevé haut la main ! Et qu’il est bon de découvrir ainsi un spectacle aussi hors norme qu’ambitieux. Et c’est une salle comble qui a salué cet exploit à l’issue de la représentation avec une longue standing ovation tellement méritée.
Une première qui, nous l’espérons, sera suivie de bien d’autres. Les choses sont désormais lancées et nous espérons que les partenariats vont suivre afin de vous permettre également de partir à la découverte d’Amoc, de ses méandres, et des vôtres.