Dossier : 5 producteurs dressent le panorama de la comédie musicale en France

Quelles sont les grandes spécificités des comédies musicales en France ? Le « modèle à la française » est-il vraiment différent de celui de Broadway ou du West-End et en quoi ? Y a-t-il un essoufflement ou un nouvel essor de nos différences ?Cinq grands producteurs, récents ou considérés comme ‘incontournables’ de la comédie musicale en France, ont fait le point avec les équipes de Toï Toï Toï sur ces questions, sur leur vision du futur, sur l’artistique et sur le modèle de production.

Nous avons rencontré Nicolas Talar, Nicole Coullier, Alexandre Piot, Valéry Zeitoun et Dove Attia. Merci à tous les cinq pour n’avoir pas utilisé la langue de bois et pour leur sympathie et leur disponibilité.

Nicole Coullier Nicolas Talar Dove Attia Alexandre Piot Valéry Zeitoun

Épisode 1 : Les grandes spécificités des comédies musicales en France

Riches de leur expérience et de leur vision, les 5 producteurs intervenants de notre dossier consacré aux comédies musicales en France ont mis en lumière les spécificités de nos productions.
Quelles sont les grandes spécificités des comédies musicales en France ? Sont-elles vraiment si différentes de ce qu’on voit à Broadway ou dans le West End ?

Nicolas Talar:

La spécificité s’est longtemps concentrée sur les salles dans lesquelles se jouent les spectacles musicaux en France et sur le type d’exploitation/promotion

Nicolas Talar

Je ne sais pas s’il y a vraiment un type français de comédie musicale. Aujourd’hui, on trouve en effet plusieurs types de comédies musicales en France : celles qui sont intégralement chantées (comme Notre-Dame de Paris) et celles qui mêlent comédie et chant, et se rapprochent le plus de ce qu’on peut voir à Broadway.
Peut-être que la spécificité s’est longtemps concentrée sur les salles dans lesquelles se jouent les spectacles musicaux en France et sur le type d’exploitation/promotion. Pendant une dizaine d’années, les comédies musicales se sont jouées dans de très grandes salles de 3000 ou 4000 personnes, ce qui ne se fait pas du tout à Broadway. La promotion se faisait au travers des titres mis en radio de manière intensive, ce qui n’existe pas non plus dans le modèle Anglo-Saxon.
Notre-Dame de Paris, qui a redonné le goût des spectacles musicaux aux Français, avait pour spécificité de ne pas mélanger le chant et les performances des danseurs et acrobates. En choisissant toujours la meilleure performance possible dans des registres musicaux difficiles et avec des chorégraphies très exigeantes, ce choix s’est imposé. Il fallait choisir pour chaque discipline, de vrais spécialistes. De vrais chanteurs pour le chant et des danseurs professionnels pour la danse. De toute façon, il serait impossible de demander à un danseur de Notre-Dame de Paris de faire les chœurs, en même temps que les chorégraphies créees par Martino Muller, cela serait physiquement impossible.
Ce n’est pas ce fonctionnement que nous retrouvons dans le modèle Broadway/West End, où chaque artiste doit pouvoir chanter, danser et jouer la comédie (qui représente une part importante du spectacle). Cependant, cette tendance propre à Broadway progresse en France et nous voyons de plus en plus de spectacles reprendre ce modèle.

Dove Attia:

Des projets avec des tailles spectaculaires, peu de scène de comédie, des textes non récitatifs

Si on se place dans les années 2000, la grande spécificité française était de respecter ce que l’on appelle le vrai format Opéra Rock : des chansons qui s’enchainent dans de grands spectacles, sans vraies scènes de comédie (ou très limitées) sur le modèle de l’opéra. Je pense à Starmania, Notre-Dame de Paris ou Les Dix Commandements par exemple.
Il faut aussi savoir que, contrairement à Broadway ou Londres, la France est pauvre en salles purement adaptées aux comédies musicales. A Londres par exemple, on trouve des théâtres parfaitement adaptés, avec l’équipement technique requis et des jauges de 1500-2000 places. Cette relative pauvreté a « poussé » à s’orienter vers des salles plus grandes comme le Palais des Sports par exemple, sur le plan des formats, on est plus entre Broadway et Las Vegas. Ce qui pouvait sembler une mauvaise chose est devenue une force, on a créé une spécificité bien française : des projets avec des tailles spectaculaires, peu de scène de comédie, des textes non récitatifs : ils ne font pas avancer l’action proprement dite mais font davantage ressortir l’émotion de l’artiste.
Le format des chansons est plus pop, plus actuel puisqu’il faut des chansons capables de passer en radio. Si l’on compare avec Broadway, c’est quasi l’opposé : il y a à Broadway quasiment une déconnexion entre le style musical des spectacles et le monde de la radio.
Enfin, la France a d’abord eu une vraie propension à s’orienter vers des thèmes de l’inconscient collectif (Mozart, Les Dix Commandements, etc.), alors que Broadway était davantage dans la création.

Dove Attia

Valéry Zeitoun:

Des salles énormes

Valéry Zeitoun

Les spécificités des comédies musicales françaises, c’est d’abord de se jouer dans des salles énormes, ce qui n’existe pas dans les pays anglo-saxons. En règle générale, à Broadway ou à Londres, ce sont des salles de 1000 places. En France, on est généralement sur des Palais des Sports, des Palais des Congrès, des Zenith. C’est une spécificité purement française, qui est d’ailleurs unique au monde. D’abord car il y a une culture des grandes salles en France mais aussi et surtout, cela tient en grande partie à des raisons économiques. Les prix dans les petites salles de Broadway ou de Londres sont bien plus élevés que dans les petites salles françaises. Pour un spectacle comme Hamilton par exemple, les carrés or avoisinent les 2500 dollars. Avec de tels niveaux de prix pour la place, on a moins besoin d’être dans des grandes salles, c’est certain…

Alexandre Piot:

Le modèle « à la française » a surtout pour vocation de divertir

Effectivement, les modèles français et anglo-saxon diffèrent considérablement. Les comédies musicales françaises délaissent bien trop souvent l’histoire et la direction d’acteurs, pour se rapprocher davantage d’un format « grand spectacle », avec, au cœur de celui-ci, des chansons, une déferlante de décors, costumes, lumières et projections vidéo. Le modèle « à la française » a surtout pour vocation de divertir, là où le modèle « anglo-saxon » jouit avant tout d’une vraie composante théâtrale et d’une scénographie soignée et justifiée par l’histoire que le spectacle raconte.
Néanmoins, force est de constater que le modèle français s’essouffle. Un désintérêt du public, des prix trop élevés, une offre surdimensionnée et une couverture médiatique plus compliquée à obtenir viennent bousculer la pérennité du modèle. Les nombreux échecs financiers connus en 2016 devraient avoir des répercussions structurelles sans précédent sur l’évolution du marché et conduire à l’accélération d’une mutation vers un modèle « plus léger, plus raisonnable », qui remettra au cœur des projets l’histoire et ses personnages.
D’un point de vue financier, il est plus facile de produire à l’étranger qu’en France. Il n’y a pas autant de charges sociales sur l’équipe, le système français réduit donc des possibilités de production inévitablement. La dynamique de travail n’est pas la même, ni les lois. Il y a trop de barrières en France qui ne facilitent pas la mise en place des spectacles. Fort heureusement, le crédit d’impôts, que les producteurs peuvent solliciter depuis le 1er janvier de cette année, devrait permettre aux productions dont le coût plateau est élevé de continuer à voir le jour, dans des conditions plus favorables et moins exposées au risque.

Alexandre Piot

Nicole Coullier:

Le succès repose sur les chansons

Nicole Coullier

En France le succès des comédies musicales dépend essentiellement du succès des chansons qui doivent absolument être programmées par les radios. C’est moins le cas pour les comédies musicales anglo-saxonnes.

Épisode 2 : Les évolutions observées en France

Après avoir dressé les spécificités de nos productions françaises, nos 5 intervenants font tous le constat d’une vraie mutation dans l’hexagone.
Quelles sont les grandes évolutions que vous notez récemment dans le monde de la comédie musicale en France ?

Nicolas Talar:

Certains intervenants tentent de modifier le modèle

J’observe deux tendances :
– Un développement dans des salles plus petites
– Des adaptations de spectacles Broadway West End
Le marché de la comédie musicale en France a été principalement un marché autour de l’événement que suppose une nouvelle création, une promotion intense, un gros marketing et de gros investissements. C’est donc un marché à risque, avec de grands succès mais aussi quelques échecs.
Certains intervenants tentent donc de modifier le modèle en s’appuyant sur des marques fortes (éprouvées à l’étranger) et en produisant des spectacles musicaux demandant moins d’investissement.
Je crois cependant qu’il y a toujours de la place pour des créations bien faites, avec des chansons fortes et de belles histoires.

Nicole Coullier:

Il faut présenter un spectacle de grande qualité

Le public est devenu plus connaisseur et plus exigeant, il faut donc présenter un spectacle de grande qualité, avec toutes les nouvelles technologies en vidéo, lumières, etc.
Ce qui implique une augmentation considérable des budgets, qui fatalement se répercute sur les prix des places.

Valéry Zeitoun:

De vraies histoires très bien écrites

Il y a une évolution, on l’a vu récemment avec Oliver Twist et Un été 44, qui sont tous deux des formats de salles bien plus petites, avec aussi de vraies histoires, où le livret est très important. C’est aussi une évolution majeure par rapport à avant. Ce qui auparavant était très important, c’était d’abord le fait d’avoir des tubes, de pouvoir les imposer en radio, et de faire venir le public par le biais de la programmation radio et pas, ou moins, par l’histoire elle-même. Les exemples que j’ai cités, Oliver Twist et Un été 44, ont montré que l’on pouvait aussi avoir du succès, grâce au livret et à de vraies histoires très bien écrites.

Alexandre Piot:

Les grosses machines de guerre vont disparaitre

L’intensité concurrentielle n’a fait que croître ces dernières années, avec l’arrivée de nouveaux entrants sur le marché. Avec un prix moyen bien plus élevé qu’au théâtre, la comédie musicale a pu apparaître comme une manne financière très alléchante pour de nombreux investisseurs. La douche froide s’en est ensuivie rapidement, non seulement parce que les business modèles sont très fragiles (la notion de succès ou d’échec est plus volatile et incertaine que dans d’autres branches de l’Économie), mais également parce que beaucoup de producteurs ont oublié l’essence même du spectacle : une narration, des émotions, des personnages, etc. Le public n’est pas dupe et ne retient finalement pas grand-chose d’un simple spectacle visuellement réussi. D’autres paramètres exogènes nouveaux, tels que les attentats, sont venus de façon irrationnelle, s’ajouter à une liste d’événements plus classiques qui faisaient déjà traditionnellement du tort au marché : les élections, les manifestations sportives internationales, la météo.
En clair, il y a fort à parier que les grosses machines de guerre vont disparaitre, temporairement peut-être : on va revenir à un show plus intimiste, au format humain, et il va y avoir un retour à la qualité plutôt qu’à la quantité, inévitablement. C’est lié à une demande du public qui souhaite partager un moment plus complice avec les artistes, et être plus impliqué dans ce qu’il vit : les formats plus divertissants (La Dame Blanche), plus interactifs (Derniers Coups de Ciseaux) ou plus profonds dans leur traitement (Edmond) montrent déjà de vrais signes de succès, avec un public qui se déplace en masse, et qui est disposé à payer cher sa place.

Dove Attia:

Les deux « formats » français et Broadway convergent peu à peu, même si on reste encore très loin l’un de l’autre

Il y a eu une double évolution qui aboutit à une certaine convergence entre Broadway et la France, même s’il est vrai qu’on n’est pas encore sur le même format.
D’un côté, Broadway a fortement évolué. Je me rappelle que du temps de Mozart L’Opéra Rock, de grands producteurs de Broadway étaient venus nous voir pour tenter de comprendre ce qui faisait le succès des comédies musicales en France. Ils ont découvert nos spécificités : des thèmes de l’inconscient collectif, des chansons plus pop… Aujourd’hui, on voit davantage de spectacles respectant ces particularités. Ils reprennent eux aussi de plus en plus souvent des thèmes qui sont dans l’inconscient collectif américain (Hamilton par exemple) ou des films célèbres (Ghost, Bodyguard, etc). On voit aussi de plus en plus souvent des artistes issus de la scène pop ou rock composer pour des comédies musicales : Elton John, Bono pour ne citer qu’eux.
En parallèle, la France a introduit de plus en plus de dialogues dans ses spectacles (cela a commencé pour moi avec Le Roi Soleil, puis davantage encore avec Mozart L’Opera Rock et 1789 les amants de la Bastille). On a donc fait un « pas » vers Broadway en ajoutant de plus en plus de scènes de comédies. Mais toujours pas autant qu’à Broadway car cela ne fait pas complètement partie de la culture en France….
On a également de plus en plus souvent ajouté des chansons dites « de spectacle », qui font avancer l’action, l’histoire. Et on s’est orienté vers des théâtres plus petits : Mogador, les Folies Bergère…
Les deux « formats » français et Broadway convergent peu à peu, même si on reste encore très loin l’un de l’autre. J’entends souvent des « experts » de la comédie musicale prôner l’excellence de Broadway et la médiocrité de la France. Ce qu’ils oublient en général est aussi une énorme question de budget. Un budget de préproduction à Broadway est en général 10 à 20 fois supérieur au budget en France. Parce qu’un spectacle là-bas s’installe souvent pour de nombreuses années ce qui n’est pas possible en France. Ne serait-ce qu’à cause de la langue. A Broadway, tout se fait en anglais, ce qui attire certes les New-Yorkais, mais aussi les touristes américains et ceux du monde entier. En France, les étrangers ne comprennent pas le Français, s’ils viennent voir un spectacle, ils vont voir quelque chose de plus musical, ils vont au Lido… En fait c’est la même chose qu’à la télévision, quand nous on peut produire Les revenants, les américains ont Games of Thrones…

Épisode 3 : Le futur à 5-10 ans

L’évolution très nette ressentie et mise en perspective par nos 5 intervenants laissera plus qu’une empreinte. Ils témoignent d’une vraie mutation qui aura un impact sur le futur. Voyons ce qu’ils en disent.
Comment voyez-vous le futur à 5-10 ans ? Les attentes du public ? Le profil et la formation des artistes ? Des spectacles différents ?

Valéry Zeitoun:

Vers de la création pure

Valéry Zeitoun

Je pense qu’on va peu à peu s’acheminer vers des histoires inédites, de la vraie création et pas uniquement des reprises ou des histoires tirées de grands romans, qu’on connait déjà. Je pense que le marché français est friand de nouvelles histoires. Pourquoi donc ne pas aller vers de la création pure, même si c’est beaucoup plus risqué et évidemment beaucoup plus onéreux en termes de production…

Alexandre Piot:

Les grosses machines de guerre vont disparaitre

On va vers du qualitatif, impérativement. Puis du renouvellement dans le choix des spectacles, que ce soit des créations françaises ou des licences importées.
Pour les artistes, c’est un métier dur, il y a peu de places et beaucoup de demande. Ce métier est une dévotion. Les formations diplômantes en matière de théâtre et de comédie musicale se multiplient et les promotions ne cessent de croître. C’est une bulle inflationniste dont l’éclatement risque de dissuader beaucoup de jeunes dans un avenir proche. Ou les contraindre à obtenir un double diplôme pour s’assurer des portes de sortie professionnelles.
On aura plus de divertissement, le public veut s’évader de la crise actuelle. On veut rire, être émerveillé ou être ému. Les émotions n’ont que trop disparu dernièrement, pour laisser la place à des spectacles pour certains assez aseptisés et sans consistance.
Les salles vont de plus en plus s’impliquer pour que les shows se montent.
La co-réalisation et la co-exploitation deviendront des évidences pour tous les directeurs de salle qui auront l’intelligence de penser que le fait d’accompagner le producteur dans sa démarche relève avant tout de leurs propres intérêts à moyen et long terme.
Il y aura de plus en plus de créations originales, la France regorge de talents qui, bien souvent, n’ont pas encore émergé… On reste encore beaucoup dans un cercle parisianiste fermé à l’éclosion de nouvelles germes créatives.

Alexandre Piot

Nicole Coullier:

Des salles plus petites

Nicole Coullier

Les attentes du public sont plus grandes et plus « pointues » qu’auparavant. Pour ce qui concerne les artistes, les producteurs ont tendance à faire appel aux artistes issus des émissions du type « The Voice ». Il est rare qu’une Star mette sa carrière entre parenthèses pendant deux ans pour se consacrer à une Comédie Musicale. Seule exception : Matt Pokora pour Robin des Bois, et cela a été une très belle expérience pour lui et a été très bénéfique pour sa carrière.
Nous pensons que dans l’avenir les comédies musicales vont continuer à se baser sur des œuvres littéraire ou cinématographiques célèbres, mais vont délaisser les grandes salles type Palais des Sports pour aller dans des salles plus adaptées comme Mogador ou les Folies Bergère. Si cette tendance se confirme, les productions devront être revues à la baisse a causes des scènes et capacités plus petites.

Dove Attia:

Plus d’import et des artistes multi-disciplinaires

Au niveau des spectacles, après Starmania, il y a eu un véritable « désert » dans les comédies musicales en France. Notre-Dame de Paris a en quelque sorte relancé la machine, mais il y a eu de nombreux échecs. Le Roi Soleil a redynamisé les choses, puis, surtout, après Mozart L’Opéra Rock, l’offre a été boostée. Jusqu’à arriver en 2016 qui a été une année record et a abouti à de gros échecs financiers malgré certains très bons spectacles. Ces échecs ont découragé à la fois les producteurs classiques que sont les médias et les producteurs « traditionnels ».
Par ailleurs, les thèmes de l’inconscient collectif dans lesquels on puise, se raréfient, on a épuisé les plus grands. On va donc vers des thèmes déjà moins connus ou moins fortement ancrés et on commence à aller vers de la création, qui est bien mais difficile dans un pays qui n’a pas vraiment cette culture.
Je pense qu’on va donc vers une période « dure » et que pour minimiser la prise de risque, on va malheureusement de plus en plus importer des Blockbusters américains, comme le fait déjà Mogador. Je l’ai dit, c’est comme à la TV…
Au niveau des artistes, les choses changent aussi. Souvent, ceux que j’ai appelés les « experts » de la comédie musicale ont critiqué les piètres comédiens français comparés aux exceptionnels américains. Pourtant, cela n’est pas un hasard. C’était même une volonté de départ. Au début, je vous l’ai dit, il y avait peu de scènes vraiment de comédies. On a donc toujours recherché de vrais chanteurs, avec des grains de voix exceptionnels, de l’émotion, et une signature vocale. Ce n’est pas un hasard si des gens comme Yael Naim, Daniel Levi, Christophe Maé, Garou, Patrick Fiori ont fait carrière dans la chanson… A Broadway, cela n’arrive pas, les stars de comédie musicale deviennent très rarement des stars de la chanson en dehors des comédies musicales.
Aujourd’hui, le format de spectacle change, on a donc besoin de professionnaliser les artistes de comédie musicale. Des écoles se créent et on forme des gens qui sont capables de bien faire les trois : chanter, danser et jouer la comédie, comme à Broadway. C’est très bien, et parfait pour des formats comme Mogador justement. Mais la conséquence est que l’on aura évidemment des artistes plus « formatés », capables de faire les trois, mais rarement avec de très grandes voix signées, c’est une démarche artistique très différente.

Dove Attia

Nicolas Talar:

Des musiques actuelles

Nicolas Talar

Pour garder un public large mais aussi jeune, il va falloir intégrer dans les créations des styles de musiques actuelles mais en leur donnant un sens et une cohérence avec l’ensemble de l’œuvre.
Le plus important cependant reste de réussir à émouvoir et surprendre le public.

Épisode 4 : Et la Province ?

Nos 4 intervenants ont clos ce dossier par une réflexion sur la Province.
Plusieurs spectacles ont récemment annulé leur tournée ou n’en n’ont pas prévu. Ce phénomène est-il destiné à durer voire à s’installer de façon définitive ? Quelle en est la raison majeure ?

Valéry Zeitoun:

Un problème de salles auquel s’ajoute un problème économique

On m’a toujours dit que le public de Province suit en quelque sorte Paris, et que pour avoir un franc succès en Province, il faut avoir eu d’abord un gros succès à Paris. Il semblerait aussi qu’il y ait un problème de salles, auquel s’ajoute un problème économique. Lorsque l’on joue dans des immenses salles à Paris, pour pouvoir être rentable en Province, il faut également jouer dans des salles de type Zenith et pas dans des théâtres de 1000-1500 places. Ils existent bien en France, mais beaucoup de théâtres sont des théâtres subventionnés qui, en règle générale, ne sont pas très amateurs de comédies musicales ou de spectacles musicaux privés. C’est un système qu’il faudrait peut-être réinventer, et surtout il faut essayer d’adapter économiquement le spectacle, en essayant d’avoir un coût de plateau qui ne soit pas énorme, pour pouvoir justement tourner dans des villes de Province, dans des salles de 1000-1200 places et rester plus longtemps qu’une dizaine ou une vingtaine de Zenith.
Mais c’est vrai, il y a aussi un gros travail à faire avec les villes et les Pouvoirs Publics, pour leur expliquer qu’il y a de très bons spectacles qui peuvent venir du privé et qui peuvent avoir un impact également sur le public des villes de Province.

Alexandre Piot:

La province est apparue comme une solution pour étendre le marché et les sources de recettes

La province a longtemps été le parent pauvre de l’offre « spectacles » avec bien souvent, une séparation nette entre le marché local et le marché parisien, les deux n’interagissant que très peu. Aujourd’hui, on observe une inversion conséquente de la tendance : toutes les productions phares s’arrêtent en province, que ce soit des comédies musicales, des grands spectacles de danse ou de cirque, des pièces de boulevard avec une tête d’affiche ou bien des concerts. En effet, le business modèle montrant des signes de faiblesse dans son amortissement seul à Paris, la province est apparue comme une solution pour étendre le marché et les sources de recettes. Il y a néanmoins des bémols majeurs, à commencer par le choix des salles, soit trop petites (théâtres de moins de 1 500 places) soit trop grandes (zéniths) ; l’offre arrive à saturation en raison d’une démographie plus restreinte qu’à Paris et des habitudes en termes de sorties culturelles dont les potentiels s’épuisent plus facilement et plus rapidement qu’à Paris ; une politique de prix inflationniste et qui est déconnectée de la réalité et de ce que les provinciaux ont pour habitude de considérer comme « raisonnable ».

Dove Attia:

Une question économique

C’est très simple : c’est une question purement économique. Une comédie musicale ne peut partir en tournée que si elle a été au-delà du « simple » succès à Paris. Cela a toujours été comme cela. Il est facile de monter une tournée, ce n’est pas compliqué, mais on est confronté à une problème de rentabilité financière. On n’a jamais vu un grand spectacle triompher à Paris ne pas partir en tournée…

Nicole Coullier:

Un faux problème

Il n’est pas tout à fait exact de dire que les comédies musicales ne se jouent qu’à Paris, pratiquement toutes les comédies musicales partent en tournée après l’exploitation parisienne.

Nicolas Talar:

Un défi économique

Je crois que beaucoup de spectacles parisiens se jouent en province. Mais tous ne peuvent malheureusement pas voyager. Une tournée en province coute cher à produire et donc si le spectacle n’a pas prouvé son succès à Paris lors de sa création, il devient difficile de soutenir les investissements nécessaires. La plupart des producteurs parisiens sont des indépendants du privé, dans une démarche artistique et commerciale, et ne peuvent pas se permettre de perdre trop d’argent.
Ensuite, le genre même de la comédie musicale en France repose sur beaucoup d’artistes et techniciens, de gros éléments de décors et de technique. Il est donc difficile voire impossible de tourner en dehors des Zénith. Et pour que cela soit rentable, il faut que le spectacle attire environ 10,000 personnes par ville, ce qui n’est pas évident partout.

Merci à Nicole Coullier, Nicolas Talar, Valéry Zeitoun, Dove Attia et Alexandre Piot.
Propos recueillis par Nathalie Robin pour Toï Toï Toï.

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